De lever la main à lever l’interdit : Les verbes transitifs de déplacement vertical et leurs extensions sémantiques

DOI : 10.54563/lexique.845

Résumés

L’article traite de plusieurs glissements de sens (semantic shifts) formant une chaîne d’acceptions qui, d’après ses deux maillons extrêmes, peut être appelée to take up → to abolish. Ces glissements de sens seront illustrés par des exemples tirés de 11 langues indoeuropéennes, relevant de différents groupes (helléniques, germaniques et romanes). L’enjeu de l’étude consiste à révéler les bases cognitives du développement sémantique des verbes désignant initialement l’action to take up, qui constitue un modèle apparemment commun à plusieurs langues. La structure de la chaîne en question reflète un accroissement progressif de la distance entre l’objet déplacé et son emplacement initial, ce qui conduit naturellement aux sens to take off, puis to take away. Les maillons finaux de la chaîne représentent la réalisation ultime de l’idée du déplacement de l’objet qui se manifeste dans les acceptions to destroy et to abolish. Ce schéma du développement sémantique des verbes dont le sens primaire est to take up peut être repéré dans de nombreuses langues du monde sous forme de parallèles sémantiques (y compris parmi plusieurs lexèmes au sein d’une même langue). Les occurrences de polysémie régulière témoignent de la pertinence de ce changement sémantique en tant qu’outil de l’appréhension de la réalité et de la réflexion de ses phénomènes dans le langage naturel, aussi bien que de l’implication de mécanismes cognitifs fondamentaux dans l’évolution sémantique de ces verbes.

Based on the data of 11 languages belonging to three language groups (Hellenic, Germanic, and Romance), the article considers a range of semantic shifts forming a chain of meanings which, based on its outermost links, may be referred to as to take up → to abolish. The article analyzes the cognitive basis of the semantic development of verbs initially denoting the action to take up, a pattern assumed to be common for several languages. The structure of the chain reflects the idea of the distance between the relocated object and its original location gradually increasing, on the basis of which the meanings to take off and to take away are acquired. The final links of the chain (the meanings to destroy and to abolish) represent the ultimate realization of the idea of removal. This pattern of the semantic development of verbs initially meaning to take up manifests itself in several semantic parallels in languages of the world, including semantic parallels between morphologically close or unrelated lexemes within a given language. The instances of regular polysemy reveal the relevance of this semantic shift as a means of the perception of reality and the reflection of its phenomena in the natural language, as well as the operation of fundamental cognitive mechanisms underlying the semantic evolution of these verbs.

Plan

Notes de la rédaction

Received: February 2022 / Accepted: June 2022
Published online: December 2022

Texte

1. Introduction1

Dans le cadre du développement de la typologie sémantique lexicale, l’étude des processus similaires dans le vocabulaire des différentes langues du monde, appartenant à divers groupes et familles, s’avère une tâche particulièrement pertinente. Parmi les phénomènes linguistiques de ce type, les glissements de sens (angl. semantic shifts), c’est-à-dire les occurrences de proximité conceptuelle entre deux sens A et B, tous les deux réalisés au sein d’un « mot au sens large2  » (sous forme de polysémie synchronique ou bien d’évolution diachronique), méritent une attention particulière.

Il existe à ce jour un grand nombre de publications dédiées à l’étude systémique et typologique de la polysémie, (voir Viberg, 2002 ; Riemer, 2005 ; François, 2008 ; Koch, 2008 ; Juvonen & Koptjevskaya-Tamm, 2016 ; List et al., 2018 ; Zalizniak, 2018). Dans l’étude du changement sémantique, une notion largement utilisée en étymologie joue un rôle particulièrement important, à savoir celle du parallèle sémantique, c’est-à-dire de la réalisation indépendante de glissements de sens semblables dans différents lexèmes de différentes langues, y compris non apparentées. L’étude comparative de ces glissements de sens est d’un grand intérêt pour la linguistique cognitive, compte tenu de leur nature conceptuelle évidente : dans les publications consacrées à la typologie sémantique lexicale, il est le plus souvent noté que « les changements de désignation semblent sujets à certains universaux cognitifs qui produisent des résultats polygénétiques semblables » (Koch, 2000, p. 80) ; voir aussi le terme « universals of content » au sujet du changement sémantique dans Győri (2004).

Ces observations expliquent l’intérêt de la linguistique moderne pour l’étude comparative de la polysémie dans les langues du monde : l’étude des glissements de sens qui constituent des parallèles sémantiques permet de déterminer ce qui peut être qualifié de « natural tendencies of semantic change in a given semantic domain » (Wilkins, 1996, p. 282), autrement dit, de retracer et de caractériser les processus réguliers du développement sémantique. On constate donc l’importance de la collecte et de la systématisation des informations sur les réalisations concrètes des glissements de sens dans les langues du monde, qui permettent, à leur tour, d’émettre des hypothèses concernant les mécanismes cognitifs de l’évolution de la signification lexicale. C’est à cette fin que le groupe de chercheurs sous la direction d’Anna A. Zalizniak s’emploie depuis 2002 à dresser le Catalogue des glissements de sens dans les langues du monde sous la forme d’une base de données informatisée (« Database of Semantic Shifts »), où sont fixées les données sur les glissements de sens synchroniques ou diachroniques détectés au niveau de lexèmes, ceux-ci étant considérés comme les réalisations du glissement en question, voir Zalizniak et al. (2012), Zalizniak (2018)3.

La tradition lexicographique distingue deux types de polysémies, à savoir le rayonnement et l’enchaînement, voir Darmesteter (1887) ; voir aussi les termes « radiation » et « concaténation » dans Brook (1983, p 79). Le premier type implique que toutes les acceptions du mot sont dérivées d’une même acception centrale, tandis que dans le deuxième type chaque nouvelle acception est directement motivée par la précédente, de sorte que les deux maillons extrêmes de cette chaîne n’ont souvent aucun sème commun.

L’une des fonctions essentielles du Catalogue informatisé est de repérer non seulement des glissements de sens isolés, mais aussi les cas d’interdépendance entre ceux-ci, en premier lieu, les concaténations éventuelles. La recherche automatisée permet d’extraire des « chaînes » de glissements sémantiques de la base en saisissant la même demande dans les champs SOURCE et TARGET, puisque le même sens est le sens primaire (source meaning) pour l’un des glissements et le sens dérivé (target meaning) pour l’autre, voir Zalizniak (2018, p. 773).

2. Le glissement sémantique complexe to take up → to abolish dans trois groupes de langues indo-européennes

Cet article propose l’analyse d’une telle chaîne de glissements, qui peut être repérée dans plusieurs langues, notamment en observant les verbes qui possèdent au moins deux (ou plus) des sens suivants : (1) to take up ‘déplacer vers le haut’ ; (2) to take off ‘enlever ce qui se trouve à la surface de qqc.’ ; (3) to take away ‘ayant pris un objet, le déplacer, l’emporter hors d’un lieu’ ; (4a) to destroy ‘détruire, anéantir un objet matériel’, parfois ‘tuer un être vivant’ ; (4b) to abolish ‘supprimer, annuler une décision officielle’, ‘mettre fin à une situation’4. Comme on le démontrera dans les sections ci-dessous sur la base de données linguistiques, ces acceptions forment une chaîne de changements sémantiques consécutifs qui peut être illustrée par le schéma suivant :

Figure 1. Le schéma de la chaîne de glissements de sens to take up → to abolish.

Figure 1. Le schéma de la chaîne de glissements de sens to take up → to abolish.

Les glissements de sens qui constituent cette chaîne seront analysés en s’appuyant sur les données de trois groupes de langues appartenant à la famille indo-européenne, notamment des langues helléniques, germaniques et romanes. Cette chaîne est représentée par un nombre variable de glissements de sens effectifs en fonction de la langue, ce qui est en principe typique des modèles de dérivation « à plusieurs degrés », qui sont rarement réalisés pleinement dans toutes les langues où l’on trouve ce modèle de polysémie, voir Evans (1992, p. 476). Les diverses variantes de la chaîne en question vont être observées dans les quatre sections suivantes.

2.1. Les verbes grecs anciens

En grec ancien, on trouve au moins deux verbes dont le sens propre est to take up et dont la structure sémantique présente tous les maillons de la chaîne présumée. Par exemple, le dictionnaire Liddell et Scott (1940, p. 27) distingue les acceptions suivantes du verbe αἴρω : ‘lever’ (to take up, raise, lift up) ; ‘soulever et emporter, déplacer’ (to lift and take away, to remove), ‘éliminer, mettre fin à qqc.’ (to remove, put an end to) ainsi que (cette acception-ci est qualifiée de tardive) ‘tuer’ (to take off, kill). Pour les derniers maillons de la chaîne, Dvoreckij (1958) cite les exemples suivants, tous tirés des auteurs classiques : (3) ἀρθείσης τῆς τραπέζης, Plut. ‘quand la table a été emportée’ ; (4а) εἰ θενεῖς τὸν ἄνδρα τοῦτον, αὐτὸς ἀρθήσει τάχα, Arph. ‘si tu le frappes, tu seras toi-même tout de suite anéanti’ ; (4b) συνθήκας ἄρασθαι, Diog.L ‘rompre des contrats’. L’évolution sémantique est ici progressive, et le mécanisme de la dérivation peut facilement être retracé : le même verbe sert à désigner d’abord le fait de retirer un objet X de la surface Y située en dessous, ensuite une augmentation de la distance entre X et l’espace tridimensionnel que devient Y, de façon que ceux-ci ne peuvent plus rester à portée de vue du même observateur (avec une étape intermédiaire, qui comprend une désignation syncrétique de soulèvement et de déplacement), et réalise enfin l’idée d’une élimination totale, d’un anéantissement de l’objet ou de la personne X.

On peut constater une structure sémantique semblable dans le verbe préfixé ἀναιρέω (dérivé du verbe αἱρέω ‘prendre’ à l’aide du préfixe να- ‘en haut’). Son sens propre, selon Liddell et Scott (1940, p. 106), est également to take up. Ensuite, ce lexème, à l’instar du verbe αἴρω, développe un sens qui combine l’idée de déplacement vertical et celle d’éloignement par rapport à son emplacement d’origine : ‘soulever et emporter, déplacer’ (to take up and carry off, bear away). Enfin, exactement comme le verbe αἴρω, le verbe ναιρέω commence à exprimer l’idée d’une élimination totale de l’objet patient, celui qui subit l’action, ce qui est reflété dans les acceptions ‘tuer, mettre fin à qqc., détruire’ (to take away, make away with, destroy, of men, to kill) et ‘abroger, supprimer, abolir’ (to abolish, annul, cancel), en parlant de choses (Liddell & Scott, 1940, p. 98).

L’emploi de ναιρέω dans ces derniers sens, les deux acceptions acquises à la dernière étape de la dérivation, semblait être particulièrement fréquent, ce dont témoignent les nombreux exemples des auteurs classiques cités dans Dvoreckij (1958). Ce verbe était compatible avec divers compléments d’objet désignant des objets matériels ou des êtres humains : πργους, Xen. ‘tours’ ; πλεις, Dem. ‘villes’ ; πολλούς, Aesch., Her. ‘plusieurs (personnes)’, mais aussi des documents officiels : συνθκας, Isocr. ‘contrat’ ; νμους, Aeschin. ‘loi’.

Les données du grec ancien sont particulièrement éclairantes pour cette étude, car la présence dans le vocabulaire d’une même langue de deux lexèmes non apparentés qui présentent la même polysémie justifie la pertinence de cette voie de dérivation sémantique pour la conceptualisation de la réalité. En effet, les occurrences de polysémie régulière, où différents lexèmes d’une même langue présentent un même sens figuré produit à partir d’un même sens propre, permettent de constater que le lien entre les deux concepts est profondément ancré dans la perception humaine du monde reflétée dans le langage. Il est également à noter que la langue grecque présente une réalisation « idéale », exhaustive de la chaîne de glissements de sens présumée décrite ci-dessus : la structure sémantique des verbes αἴρω et ναιρέω comprend tous les maillons cités sur la Figure 1, y compris l’emploi périphérique dans le cadre de l’acception (4a) — to kill. Les lexèmes des autres langues européennes, comme on montrera ci-dessous, réalisent seulement une partie des glissements de sens en question.

2.2. Les verbes germaniques

On peut repérer un parallèle sémantique aux glissements de sens observés en grec ancien dans les langues germaniques. En témoigne, par exemple, le verbe anglais to lift, dont la polysémie suit le schéma suivant : to take up  to take off  to abolish : The lumber was lifted by crane ‘On a soulevé le bois avec une grue’, She lifted her hand ‘Elle a levé la main’ → He lifted the lid on the pot of soup ‘Il a enlevé le couvercle de la casserole de soupe’ → to lift a restriction ‘lever l’interdiction’, to lift an embargo ‘lever un embargo’, to lift sanctions ‘lever des sanctions’5.

Un autre verbe anglais désignant le déplacement vertical – to raise – présente une polysémie encore moins ample dans le cadre de la chaîne en question, en l’occurrence (1) Raise your hand if you know the right answer ‘Levez la main si vous savez la bonne réponse’ et (4b) raise a siege ‘lever le blocus’, raise an embargo ‘lever un embargo’. Dans ce dernier cas on constate plutôt une collocation qu’une combinaison libre d’éléments, puisque le nombre des substantifs qui peuvent être combinés avec le verbe en question dans le sens (4b) est strictement limité, mais le fait que le verbe to raise possède l’acception to abolish est toutefois incontestable. Il faut souligner ici que les maillons de la même concaténation se retrouvent dans deux verbes anglais différents, ce qui témoigne encore de la régularité et de l’importance de ce modèle de dérivation sémantique.

Pour résumer, concernant les lexèmes anglais, la chaîne d’acceptions proposée sur la Figure 1 est réduite, privée du maillon (3), ou bien des deux maillons intermédiaires (2) et (3), ainsi que de l’acception concrète (4a) à la dernière étape de la dérivation. La version réduite de la chaîne, qu’on trouve dans les langues germaniques (voir aussi ci-dessous), peut être représentée à l’aide de la modification suivante du schéma d’origine :

Figure 2. Le schéma des glissements de sens to take up → to abolish dans les langues germaniques.

Figure 2. Le schéma des glissements de sens to take up → to abolish dans les langues germaniques.

On peut donc constater que le changement de la classe de l’objet patient ainsi que la métaphorisation du sens concret n’ont pas lieu lors de la troisième, mais de la deuxième, voire de la première phase de la dérivation. Dans ce cas-là, l’abolition d’une décision officielle n’est pas conceptualisée comme le déplacement de l’objet d’un espace tridimensionnel, mais comme le fait de l’enlever de la surface où il était précédemment situé, ou juste de le soulever. Par conséquent, la situation d’abolition perçue comme un « enlèvement » ou un « soulèvement » est opposée à celle d’adoption où, au contraire, on place l’objet sur une surface (voir, en russe, наложить / снять санкции, наложить/снять запрет (nalozhit’ / snyat’ sankcii, nalozhit’ / snyat’ zapret) ‘imposer / lever des sanctions’, ‘imposer / lever une interdiction’).

Le même schéma peut servir à décrire plusieurs occurrences de polysémie dans d’autres langues germaniques. On peut citer ici le verbe allemand aufheben, dont la structure sémantique comprend le premier et le dernier maillons de la chaîne en question : einen Stein aufheben ‘soulever une pierre’, die Hand aufheben ‘lever la main’, ein Verbot aufheben ‘lever une interdiction’, die Verlobung aufheben ‘rompre son engagement’6.

Il est probable que le lexème allemand a servi de base pour un calque sémantique dans certaines langues germaniques. Une ressemblance morphologique et sémantique laisse supposer l’influence de l’allemand sur le verbe néerlandais opheffen : voir iets van de grond opheffen ‘soulever qqc. par terre’, de handen opheffen ‘lever la main’, een wet opheffen ‘abroger une loi’, straf opheffen ‘abolir une peine’7. Ce glissement de sens se produit également dans les langues scandinaves, où le modèle allemand de dérivation sémantique a probablement aussi servi de base à un calque. L’hypothèse de l’influence allemande est confortée par les articles lexicographiques : le rapport au verbe allemand aufheben est constaté dans Bokmålsordboka (n. d)., Den Danske Ordbog (n. d.), Svenska Akademiens Ordböcker (n. d). En norvégien, le glissement de sens en question est en premier lieu réalisé dans l’unique acception du verbe oppheve, un dérivé préfixé du verbe heve to take up. Le sens to abolish qu’exprime ce verbe peut être illustré par les exemples suivants : oppheve en lov ‘abroger une loi’, oppheve en kontrakt ‘rompre un contrat’, støtteordningen skal oppheves ‘les mesures de soutien doivent être levées’8. Le même sens est désigné par des cognats9 scandinaves, notamment le danois ophæve (ophæve forbuddet ‘lever l’interdiction’, ophæve sanktionerne ‘lever les sanctions’10) et le suédois upphäva (upphäva beslutet ‘annuler la décision’, upphäva domen ‘annuler la condamnation’11).

Cependant, il importe de noter que l’évolution sémantique to take up  to abolish représentée par ces trois verbes prend une autre forme que celle observée en allemand : les dérivés préfixés réalisent ce glissement de sens sous forme de dérivation morphologique12 (heve → oppheve, hæve → ophæve, häva → upphäva), car, à la différence de l’allemand aufheben et du néerlandais opheffen, les verbes sources ne servent pas à désigner le déplacement spatial. La morphologie transparente des verbes scandinaves, dont le préfixe signifiant ‘en haut’ double le sens du radical qu’on retrouve d’ailleurs dans les verbes de déplacement spatial, permet tout de même de voir ici le même mécanisme de dérivation que dans le glissement de sens to take up  to abolish en allemand.

Les verbes simples (non dérivés), notamment le norvégien heve, le danois hæve, le suédois häva, dont sont dérivés les trois verbes observés ci-dessus, réalisent aussi ce glissement de sens en forme de polysémie synchronique, voir le norvégien heve armen ‘lever la main’, heve glasset ‘lever son verre’ → heve forlovelsen ‘rompre son engagement’, heve en kontrakt ‘rompre un contrat’ ; le danois hæve et glas ‘lever un verre’ → hæve forlovelsen ‘rompre son engagement’ ; le suédois hon hävde upp packningen på axlarna ‘elle a mis (lit. levé) le sac sur les épaules’ → häva ett avtal ‘rompre un contrat’, häva ett köp ‘annuler un achat’. Ici on n’a plus affaire à un calque, puisque les langues allemande et néerlandaise réalisent ce glissement uniquement sous forme de verbes préfixés polysémiques. Il apparaît que les deux types de glissements de sens dans les langues scandinaves, notamment la dérivation morphologique fondée sur un calque et la polysémie dans la structure sémantique d’un même lexème, se renforcent mutuellement, témoignant de la valeur cognitive de la dérivation sémantique en question.

2.3. Les verbes romans

En ce qui concerne la polysémie des verbes dont le sens propre est to take up, les langues romanes sont particulièrement intéressantes à étudier, car on y retrouve les réalisations de différents glissements de sens constituant la chaîne en question. Par exemple, la structure sémantique du verbe français lever et celle du dérivé préfixé enlever englobent certains sens observés ci-dessus.

Le paradigme des sens du verbe simple lever comprend trois maillons de la chaîne de base, notamment (1) to take up (lever un fardeau, lever les rames, lever l’étendard) → (2) to take off (lever le couvercle de la soupière, lever le masque) → (4b) to abolish (lever le décret, lever l’interdit, lever la sentence13). On constate donc que cette réalisation particulière du glissement de sens en question se rapproche des modèles d’évolution sémantique observés dans les langues germaniques, et se fonde probablement sur les mêmes procédés cognitifs.

La chaîne de glissements de sens observée ici se réalisait déjà dans la structure sémantique du verbe lever à un stade précoce de l’histoire de la langue française, ce qui est reflété dans la description lexicographique de ce verbe dans le DMF (s. d.)14. À côté du sens de base to take up (voir lever estendart), les auteurs citent l’acception to take away (‘enlever, ôter, retirer qqc.’), illustrée par un exemple de l’Histoire du petit Jean de Saintré, le roman de Antoine de Sale datant du 15ème siècle : sans plus actendre ne lever aucune chose dessur les tables. On repère un autre maillon de la chaîne dans la structure sémantique du verbe lever en moyen français, qui est celui de ‘faire cesser qqc., mettre fin à qqc.’. Cette acception correspond probablement à la dernière étape de la dérivation, (4b) to abolish, puisque la fonction d’objet patient dans les exemples cités dans le DMF (s. d.) est remplie par un nom désignant un décret sur une confiscation ou sur un prêt, voir l’exemple d’un document juridique datant de 1477 : nous leverons nostre dicte main mise.

Dans la langue française moderne, la structure sémantique du verbe préfixé enlever comprend plus de maillons de la chaîne que celle du verbe simple. Le sens primaire de ce verbe correspond au label sémantique (1) to take up (Le ballon enlève la nacelle, les palans enlèvent les fardeaux, enlever un enfant dans ses bras). Ce lexème s’emploie néanmoins plus souvent dans le sens (2) to take off (enlever le couvercle d’une casserole, enlever son chapeau). En outre, ce verbe possède les acceptions (3) to take away, (enlever un échafaudage, enlever la poussière avec un balai, enlever le couvert, enlever l’appendice) et (4a) to destroy, (enlever un nom d’une liste, produit qui enlève les taches).

Bien que l’article consacré au verbe enlever dans le TLFi (s. d.) qualifie les syntagmes cités ci-dessus comme les réalisations des sens (3) et (4a) d’occurrences de la même acception, les situations qu’ils désignent sont nettement distinctes. On distingue en effet les contextes d’» élimination faible », où l’objet sur lequel porte l’action est déplacé d’un espace à un autre (un échafaudage, le couvert), et les contextes d’» élimination forte », où l’objet en question cesse totalement d’exister (un nom, les taches), voir section 3. Il semble que la mention dans la phrase du point initial du déplacement (par exemple, enlever le nom d’une liste) justifie que la situation ne soit pas conceptualisée dans le langage comme la destruction de l’objet mais comme son déplacement de l’espace où il se trouvait initialement. L’absence de ce circonstant (voir produit qui enlève les taches) témoigne de la sémantique de destruction, donc de la réalisation du dernier maillon de la chaîne en question.

Le verbe enlever dénotait déjà certains des sens ci-dessus à l’époque du moyen français. Le DMF (s. d.) cite les acceptions ‘emporter qqc. (de qq. part)’ ; détacher, enlever qqc.’ et ‘emporter qqc. avec soi, entrer en possession de qqc.’. L’emploi du verbe enlever dans le sens (3) est illustré par un exemple d’un document administratif du 15ème siècle : lesdiz Guerin et Quenault avoient cuilly et enlevé presque tout ledit blé.

Un autre verbe préfixé appartenant à la même famille morphologique et exprimant des sens proches de (1) et de (4b) est relever : relever un enfant qui est tombé, relever le général de son commandement. Le sens figuré n’étant pas celui d’abolition proprement dite, on ne peut pas affirmer qu’il s’agit de la réalisation du glissement de sens en question, il est pourtant à noter que l’idée de la cessation d’un état de choses se voit encore étroitement liée au sens physique de déplacement vertical.

Naturellement, les acceptions (1), (2), (3) et (4b) sont réalisées dans d’autres cognats romans, notamment dans l’italien levare (levare le mani ‘lever les mains’ ; levare il cappello ‘enlever le chapeau’ ; levare un dente ‘enlever une dent’ ; levare una tassa ‘abolir une taxe’15) et l’espagnol levantar (levantar el brazo ‘lever le bras’, levantar un cadáver ‘emporter un cadavre’, levantar la excomunión ‘abolir l’excommunication’16). Le dictionnaire de moyen espagnol cite également le sens (3) ‘enlever ou emporter l’objet de là où il se trouvait’ (Alonso, 1986, p. 1305) que ce verbe dénotait aux 14ème et 15ème siècles. Cortelazzo et Zolli (1983, p. 868) distingue aussi le sens (4a) ‘tuer’, réalisé dans les collocations italiennes levare di terra ‘enlever de la terre’ (14ème siècle) et levare dal mondo ‘enlever du monde’ (début du 19ème siècle). Les verbes levare et levantar, qu’on observe dans les langues romanes modernes, ne dénotent pas ces sens.

Il faut aussi relever un deuxième cas de la réalisation de la chaîne en question en italien. Il s’agit de la polysémie du verbe togliere, dans la structure sémantique duquel tous les sens impliqués, sauf (1) to take up, sont réalisés, notamment (2) togliere un tegame dal fornello ‘enlever la poêle de la cuisinière’, (3) togliersi un dente ‘enlever une dent’, (4а) togliere ‘tuer’ et togliere un ostacolo ‘éliminer un obstacle’, (4b) togliere un incarico ‘supprimer une commission’. Bien que certains emplois de ce verbe soient moins usuels que d’autres, la structure sémantique de ce verbe permet néanmoins de retracer toutes les étapes de l’évolution sémantique en question.

Pour résumer, la polysémie qui fait l’objet de notre étude se présente également de façon régulière dans les langues romanes. Il existe plusieurs verbes français de la même famille morphologique (celle de lever) dont la polysémie suit différents schémas réduits du modèle de base ; en italien, par contre, il existe deux verbes non apparentés dont le sens s’est développé de la même façon. Les données des langues issues du latin confirment encore que la concaténation observée ici est un modèle régulier et pertinent de la conceptualisation de la réalité dans le langage naturel.

2.4. Le verbe latin

Les données des dictionnaires latins témoignent également de la combinaison de l’idée du déplacement vertical (1) et d’un sens proche de (4b) dans le verbe latin levo, dont sont dérivés la plupart des verbes observés dans la section précédente. Il est cependant à noter que le schéma de l’évolution sémantique de levo est différent de celui qu’on a proposé initialement, en premier lieu parce que le sens de déplacement physique n’en est pas le sens propre. Ce verbe est dérivé de l’adjectif levis ‘léger’, si bien que son sens primaire (normalement cité en premier dans les articles lexicographiques) est to relieve ‘apaiser, soulager, affaiblir’ : voir molestias levare ‘soulager la détresse’17. Les acceptions to take off et to take up dérivent de celui-ci (voir furca levat ille bicorni sordida terga suis nigro pendentia tigno ‘avec une fourchette à deux dents, il a enlevé la tranche de jambon fumé, suspendue à une poutre noire’, levavit ad caelum palmas ‘il a levé les bras au ciel’) et doivent, à leur tour, être considérées comme dérivées de to relieve. Ce point de vue est exposé dans Rey (2011), où la première acception du latin levo est interprétée comme ‘rendre léger, alléger’, et ensuite l’évolution sémantique est décrite selon le schéma suivant : ‘soulager’ → ‘dérober’ → ‘soulever, élever’ (Rey, 2011, p. 1195) ; voir également (Ernout & Meillet, 2001, p. 353) pour la même perspective.

Le dictionnaire de Lewis et Short (1956) cite également une sous-acception du verbe levo, qui peut être rapprochée du (4b) to abolish : voir suspicionem levare ‘écarter un soupçon’ (autrement dit, le ‘supprimer’, l’‘éliminer’). Une idée semblable est exprimée dans les phrases morbum levare ‘guérir d’une maladie’, inopiam multum levare ‘délivrer du besoin’, qui dénotent également l’élimination de la situation d’origine18. Bien que les exemples cités ci-dessus ne puissent pas être qualifiés d’emplois du verbe dans le sens (4b), étant donné la différence dans les classes taxonomiques de l’objet patient, il faut absolument constater une proximité sémantique entre le dernier maillon de la chaîne de glissements de sens en question et le sens to deliver from. En effet, tous ces contextes indiquent qu’un certain état de choses (les soupçons à l’égard de qqn., la maladie, la détresse) est éliminé, cesse d’exister, tout comme l’application de la loi dans les contextes illustrant le sens (4b).

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les dictionnaires citent, parallèlement aux exemples ci-dessus, des phrases où l’actant désignant l’état initial ne prend pas la marque casuelle de l’accusatif (objet direct), mais celle de l’ablatif, tandis que la position du complément direct est réservée à un autre participant de la situation, à savoir au bénéficiaire, celui dont le sort est amélioré (voir metu levare aliquem ‘délivrer qqn. de la peur’, miseriis levare aliquem ‘délivrer qqn. de la misère’). La structure syntaxique de ces phrases indique que le sens to deliver from est initialement exprimé dans une construction mettant l’accent sur l’amélioration de la situation de Y, l’un des trois principaux éléments de la situation. Y correspond alors à l’espace ou à l’objet dont un troisième participant, le sujet Z « enlève », « emporte » l’objet X (dans les langues où le sens (4b) est motivé par l’une des acceptions (1)-(3)). Le rapport au sens initial de levo en tant que dérivé de levis est dans ce cas transparent : c’est effectivement la situation de Y qui est « rendue légère », facilitée.

Ces observations aboutissent à la conclusion que le rapport entre le sens to deliver from et les acceptions (1) et (2) dans le paradigme des sens du lexème latin diffère considérablement de la relation initialement supposée entre les sens (1) et (2) d’une part et (4b) d’autre part. Il est évident que dans la structure sémantique de levo les sens (1) et (2) sont dérivés de to relieve (conformément au schéma to relieve  to take off  to take up, où (1) et (2) échangent leur place) et ne peuvent plus être considérés comme la base du développement du sens (4b). Ce modèle de développement sémantique peut être illustré à l’aide du schéma ci-dessous :

Figure 3. Le développement sémantique du verbe latin levo.

Figure 3. Le développement sémantique du verbe latin levo.

Pour résumer, bien que l’éventail des valences sémantiques du verbe levo soit semblable à celui qu’on observe dans la structure des verbes français, espagnol et italien modernes, la diathèse du lexème latin était initialement différente. La différence dans la répartition des rôles entre les trois éléments de la situation d’abolition reflète en effet divers modèles de conceptualisation de cette situation : le modèle observé dans l’histoire du verbe latin levo est celui de la réorientation de l’objet « soulagé » Y vers l’objet éloigné X, conceptualisé plus tard comme la situation indésirable. Or, suite au changement de la diathèse, c’est le nom de la situation éliminée qui prend ensuite la fonction de complément direct (comme dans les phrases suspicionem, morbum, inopiam levare). Ceci permet de rapprocher l’emploi du lexème latin du fonctionnement des verbes français, espagnol et italien, même si le modèle de l’évolution des sens correspondants dans les langues modernes était apparemment fondamentalement différent.

Pour conclure, le rapport entre les sens constituant la chaîne de glissements étudiée apparaît comme différent dans les langues romanes modernes en comparaison avec leur langue-ancêtre. Dans le paradigme des sens du verbe latin levo, dont l’acception primaire est ‘rendre léger’, se développent indépendamment et coexistent dans le cadre d’une radiation (et non d’une concaténation, comme dans le schéma initialement proposé) les sens dérivés, d’un côté, (1) to take up et (2) to take off (voir les exemples ci-dessus) et, de l’autre côté, to deliver from, proche de (4b) to abolish, qui ne sont pas reliés tous les trois par un rapport de dérivation du type (1) → (2) → (4b). Les verbes romans n’ont pas conservé le sens initial du radical (voir la morphologie bien différente des adjectifs correspondants léger, ligero et leggero en français, espagnol et italien respectivement), et l’ancien dérivé (1) devient l’acception de base19, primaire par rapport à (4b). Ceci est également justifié du fait de l’existence dans d’autres langues du glissement de sens to take up  to abolish, que l’on retrouve dans la polysémie des lexèmes qui ne sont pas des cognats de levo (voir les sections 2 et 4).

3. Les étapes de la concaténation to take up → to abolish : généralisation des données empiriques

Selon l’hypothèse de base brièvement exposée au début de la section 2 et justifiée par plusieurs exemples dans les sous-sections suivantes, le développement sémantique des verbes désignant to take up est fondé sur l’idée de l’éloignement progressif de l’objet X par rapport à l’espace Y, de façon à ce que la distance entre X et Y augmente à chaque maillon de la chaîne, c’est-à-dire à chaque étape de la dérivation. Comme l’illustre la Figure 1, la première acception dérivée du sens de base to take up est celle désignée par le label sémantique to take off. Employé dans ce deuxième sens, le verbe polysémique désigne toujours une situation qui implique le déplacement vertical de l’objet (en général, d’abord vers le haut et puis vers le bas), mais c’est l’idée de l’élimination de l’objet de la surface où il se trouvait initialement qui revient au premier plan. Autrement dit, en utilisant le verbe dans son sens propre, notamment to take up, le locuteur caractérise surtout le vecteur de mouvement — du bas vers le haut — tandis que lors de son emploi dans le deuxième sens l’accent est mis sur le point initial du déplacement, et l’information cruciale est celle de la position initiale de l’objet X, que celui-ci n’occupe plus. Le lien étroit entre les deux acceptions qui constituent le premier glissement de sens dans la chaîne présentée est souvent reflété dans les descriptions lexicographiques des verbes correspondants : on trouve régulièrement dans les dictionnaires les définitions syncrétiques des sens to take up et to take off20, illustrés par des exemples qui seraient rendus différemment dans les langues où ces deux sens ne sont pas colexifiés21 par un même verbe.

À la deuxième étape de la dérivation, lors du passage à l’acception (3) to take away, le sème de déplacement vertical se perd, tandis que l’idée de l’éloignement de l’objet de l’espace initial est conservée et se développe. On peut dire que l’espace Y, celui dont est éliminé l’objet, s’étend et acquiert du volume par rapport à l’espace « plat », à savoir la surface qui servait de point initial du mouvement lors de l’emploi du verbe dans les sens to take up et to take off. Autrement dit, dans les situations désignées par le verbe dans les sens (1) et (2), ce n’est que la partie de la surface par laquelle Y touche le X situé dessus qui est au centre de l’attention du locuteur, tandis qu’au passage au troisième maillon de la chaîne, Y acquiert les caractéristiques d’un espace tridimensionnel, à l’intérieur duquel X est initialement situé.

À la troisième étape de la dérivation, lors du passage au quatrième maillon de la chaîne de glissements de sens, l’idée de l’élimination de l’objet se réalise pleinement, car X ne cesse plus seulement d’exister dans un certain espace limité, mais disparaît totalement du monde. Comme on l’a constaté dans la section 2, cette réinterprétation de la situation peut avoir deux réalisations distinctes, une concrète (4a) et l’autre abstraite (4b). En cas de réalisation du sens (4a) to destroy X correspond à un objet matériel et il s’agit de sa destruction ; dans certains contextes, quoique peu fréquents, X peut désigner un être humain, auquel cas la situation dénotée est un meurtre. On peut constater que l’espace Y s’étend encore par rapport aux maillons précédents de la chaîne pour correspondre au monde. Par conséquent, les lexèmes qui réalisent le sens (4a) sont souvent privés de la valence du point initial du mouvement (voir, par exemple, le syntagme français produit qui enlève les tâches).

On distingue cependant d’autres contextes, dans lesquels il importe au locuteur d’indiquer la position initiale de X, car la nécessité même de détruire cet objet est causée par le fait que sa présence dans cet espace concret est indésirable. Parmi les contextes de ce type, on peut citer ceux du « nettoyage » d’un objet matériel, voir les phrases françaises enlever les saletés du sabot, enlever les taches sur le tapis, enlever la rouille sur les casseroles22 d’un côté, X (une sorte de saleté) n’est pas déplacé ailleurs, mais cesse complètement d’exister ; de l’autre côté, c’est précisément de Y (de l’objet à la surface ou à l’intérieur duquel il se trouvait) qu’il fallait l’éliminer. On pourrait qualifier les phrases de ce type de contextes d’élimination « forte », se rapprochant partiellement du troisième maillon de la chaîne et opposés aux cas d’élimination « faible » : d’une part, le langage naturel n’a pas tendance à conceptualiser cette situation comme destruction totale de l’objet (en témoignent les articles lexicographiques, où les contextes d’élimination « forte » et « faible » illustrent la même acception du lexème) ; d’autre part, la situation réelle implique en fait une élimination totale de X et non son déplacement.

L’autre réalisation de la dernière étape de la dérivation, c’est-à-dire le passage au sens (4b) to abolish, s’accompagne d’un changement de la classe taxonomique de l’objet patient, ce qui actualise un sens particulier, métaphorique, du lexème verbal. Si la fonction d’objet patient est remplie par le nom d’une ordonnance ou d’une décision officielle (loi, décret, condamnation, contrat, etc.), le verbe ne désigne plus la destruction physique de l’objet, mais l’annulation de l’ordonnance exposée dans le document en question. L’acception to abolish, dérivée de l’idée d’éloignement, émerge fréquemment dans diverses langues, y compris dans la structure sémantique des verbes dont la polysémie n’inclut ni le maillon précédent de la chaîne de glissements de sens (3), ni l’acception « concrète » (4a), si bien que ces verbes n’expriment pas l’idée de la destruction physique d’un objet (plusieurs cas de ce type ont été traités dans les sections 2.2 et 2.3). Étant donné que dans ce schéma réduit le sens « abstrait » (4b) est dérivé de l’acception (2), le développement sémantique à la dernière étape de la dérivation se déroule simultanément à deux niveaux : grâce à l’idée de l’éloignement maximal entre X et Y (à savoir la destruction totale de X) et suite au changement de la classe taxonomique de X, l’objet patient.

Cette reconstruction hypothétique du développement des sens du lexème verbal semble refléter les régularités de l’évolution sémantique des mots du langage naturel. Il est bien connu que le champ conceptuel de l’espace, que représentent dans le lexique entre autres les verbes de déplacement, est extrêmement productif en tant que source de glissements sémantiques. Ce phénomène est dû au fait que les catégories spatiales font partie de l’expérience primaire et directe du locuteur, en vertu de quoi « les emplois spatiaux des unités polysémiques, qui renvoient à des réalités plus directement saisissables que les emplois temporels ou notionnels, délimitent les emplois premiers à partir desquels les autres se déploient » (Pauly, 2012, p. 95). Le rôle des catégories spatiales en tant que moyen de conceptualisation de situations plus complexes, souvent liées aux phénomènes non matériels, est pris en charge par la notion de schème-image (le terme anglais image schema, très important pour la linguistique cognitive, a été introduit par Johnson ; voir aussi Lakoff et Johnson (1980), Talmy (1985).

Or, le rapport entre les deux sens qui constituent le glissement n’est pas toujours facilement prévisible, car il existe des mots polysémiques dont le sens concret, en contradiction avec le principe général, est dérivé du sens abstrait. La possibilité d’une telle évolution sémantique « inverse » est développée dans l’article classique Problèmes sémantiques de la reconstruction, dans lequel Benveniste (1964 [1939], p. 257-259) analyse les rapports de dérivation sémantique entre les sens ‘loyauté, fidélité’ et ‘chêne, arbre’ dans plusieurs langues indo-européennes. Un tel cas d’inversion est également présent dans nos données, voir l’évolution sémantique atypique (par rapport aux langues romanes modernes) du verbe latin levo dans la section 2.4.

Parmi les procédés concrets qui rendent possible l’évolution sémantique du mot et l’ancrage du nouveau sens dans le langage, on cite en premier lieu le changement de type des éléments du contexte, notamment des termes qui dépendent syntaxiquement du mot en question. Comme on se concentre sur les verbes transitifs directs, il s’agira surtout du changement de la classe taxonomique de l’objet patient (à propos de l’importance de l’objet direct pour le développement sémantique, voir Waltereit (1999). Dans la chaîne de glissements to take up → to abolish ce changement de type caractérise surtout le passage au sens (4b) : à ce moment-là, la fonction d’objet patient n’est plus remplie par le nom d’un objet matériel, mais par celui d’une décision officielle.

Les deux premières étapes de la dérivation, à savoir le passage du premier maillon de la chaîne au deuxième et ensuite du deuxième au troisième, ainsi que la réalisation « concrète » de la dernière étape (le passage au sens (4a)) relèvent du vocabulaire concret et peuvent être analysées comme cas de métonymie, l’un des mécanismes de développement sémantique les plus réguliers, voir Apresjan (1995, pp. 190-191). Ayant plusieurs sèmes communs avec l’acception primaire, les sens figurés de ce type gardent avec celle-ci un rapport étroit au niveau dénotatif, ce qui explique le fait que la classe taxonomique de l’objet patient ne change pas lors de leur émergence.

Le développement sémantique qui part du sens (1) pour arriver au sens (4a) paraît facilement explicable et profondément ancré dans la réalité, comme toute métonymie, où « une association de contiguïté s’établit dans notre mémoire à partir du moment où nous apprenons que deux phénomènes entretiennent un rapport régulier et non accidentel » (Blank, 2000, p. 62). Il est vrai que, pour enlever l’objet de la surface où il se trouve, il faut le soulever et que, pour le déplacer ailleurs, il faut souvent l’enlever d’une surface ; il n’est pas rare qu’on déplace l’objet pour ensuite l’anéantir. Si on se concentre sur les acceptions (3) et (4a) comme les maillons finaux de la chaîne, on peut qualifier la concaténation en question de métonymie à « séquences successives », voir Bonhomme (1987, pp. 66-67), grâce à laquelle on désigne une situation complexe avec le nom d’une action simple qui entraîne toute une série d’actions dont résulte la situation dénotée. Le point de vue selon lequel le sens (4a) est métaphorique et non métonymique par rapport au sens (3) (exprimé dans Stolova, 2015), comme si la langue fixait une ressemblance plutôt qu’une contiguïté entre ces deux actions, est aussi valable, car on partage la perspective dans laquelle « the classical notions of metaphor and metonymy are to be seen as prototypical categories at the end points of a continuum of mapping processes » (Radden, 2000, p. 105).

Dans le cadre du rapport cognitif entre le sens (4a) et le maillon précédent de la chaîne de glissements de sens qui lui a servi de base, que ce soit (3) ou (2) en fonction de la langue, il convient de citer Stolova (2015) qui analyse les tendances principales propres aux glissements de sens dans les langues romanes par rapport à leur langue-ancêtre. Les observations de l’auteure au sujet de la proximité cognitive des notions de mouvement et d’existence sont particulièrement pertinentes : elle note en particulier que « stopping being in a specific state, condition, or stage could also be expressed with motion verbs as part of a sub-metaphor of change is motion known as stopping being in a state is leaving a location » (Stolova, 2015, p. 103). Elle constate aussi que « disappearing or stopping to exist can […] be rendered by motion verbs » (Stolova, 2015, p. 112). Il est assez certain que les tendances observées par l’auteure ne sont pas propres aux seules langues romanes, puisque les schèmes-images sont fondés sur les mécanismes cognitifs communs de la conceptualisation du monde.

La réalisation « abstraite » (4b) de la dernière étape de la concaténation est foncièrement différente des changements de sens précédents. En effet, le procédé présidant à la formation de l’acception est la métaphore (et non plus la métonymie). De plus, on observe une transformation de la classe de l’objet patient. On remarque que la fréquence de la réalisation de ce maillon particulier de la chaîne de glissements de sens confirme la régularité de cette métaphore en tant que moyen de la conceptualisation de la situation réelle qu’est l’abolition d’un décret officiel.

4. Conclusion

Pour résumer, l’analyse des données de plusieurs langues indo-européennes permet de conclure que le mécanisme cognitif de la chaîne de glissements de sens to take up → to abolish reflète l’idée d’un mouvement progressif à partir du sens concret de déplacement vertical vers une signification plus abstraite de l’annulation d’un document, d’une ordonnance ou d’une décision. Le développement sémantique passe dans plusieurs langues par des étapes intermédiaires, où la distance entre la surface d’origine, sur laquelle se trouvait l’objet éliminé, et l’objet lui-même augmente progressivement. D’autres langues, en revanche, ne présentent pas l’intégralité des glissements de sens constituant la chaîne en question, mais seulement un ou deux d’entre eux : (1) → (4b) ou bien (1) → (2) → (4b).

En conclusion, il faut aussi évoquer les lexèmes de certaines autres langues dont la polysémie se développe conformément aux modèles observés ci-dessus. On en retrouve entre autres dans certaines langues indoeuropéennes n’appartenant pas aux groupes qui sont le centre d’intérêt de cet article. En russe, par exemple, la chaîne de glissements de sens se réalise selon le schéma to take off  to take away  to abolish (voir снять (snyat’) : снять пальто с вешалки (snyat’ pal’to s veshalki) ‘enlever le manteau du porte-manteau’ → снять скатерть со стола (snyat’ skatert’ so stola) ‘enlever la nappe de la table’, снять урожай (snyat’ urozhaj) ‘récolter, lit. enlever la récolte’ снять судимость (snyat’ sudimost’) ‘annuler la condamnation’, снять выговор (snyat’ vygovor) ‘annuler la réprimande’23) ou to take away  to destroy (voir убрать (ubrat’) : убрать со стола (ubrat’ so stola) ‘enlever le couvert’ (Evgen’eva, 1988, p. 446) → fam. убрать негодяя (ubrat’ negodyaya) ‘tuer le vaurien’24). On trouve la version réduite de la chaîne to take up  to take away en gaélique (voir tóg : cloch a thógáil ‘soulever une pierre’, ciseán a thógáil ‘soulever un panier’  tóg na gréibhlí sin ‘range, lit. emporte ces bibelots’, an bord a thógáil ‘enlever le couvert’25).

Enfin, il est important de noter que le phénomène décrit dans l’article ne se limite pas aux langues indo-européennes. L’ensemble des cinq acceptions constituant la chaîne ((1) ‘soulever, lever’ ; (2) ‘enlever ’ ; (3) ‘écarter, éliminer’ ; (4a) ‘faire disparaître, démonter’ ; (4b) ‘faire cesser, arrêter, supprimer’) est cité dans l’article lexicographique consacré au verbe turc kaldırmak dans Kocabay (1978, p. 573-574). On peut citer quelques exemples qui figurent dans cet article : (1) parmak kaldırmak ‘lever le doigt’ ; (3) çöpleri kaldırmak ‘enlever les ordures’ ; (4a) vücudunu ortadan kaldırmak ‘anéantir, tuer’ ; (4b) bir kanunu kaldırmak ‘abroger une loi’. La polysémie du verbe turc çıkarmak comprend également certains maillons de la chaîne, notamment des acceptions telles que (2) ‘ôter’ (şapkasını çıkarmak ‘ôter son chapeau’) ; (3) ‘écarter’ (diş çıkarmak ‘enlever une dent’) (Kocabay, 1978, pp. 224-225).

Un autre exemple de ce développement sémantique peut être observé en mwotlap, langue austronésienne parlée au Vanuatu, où le verbe yak possède les sens (1) heh yak ne-vet ‘soulever une grosse pierre’ et (3) Nēk ma-yak na-bankēn ba- hap? ‘Pourquoi as-tu pris la tasse ?’26. L’acception (2) est également citée dans le dictionnaire sous le label ‘enlever’. Il est fort probable que des réalisations de ces glissements de sens puissent être repérées dans d’autres langues encore.

La concaténation observée dans cet article est donc un phénomène régulier, car on la retrouve sous forme de parallèles sémantiques dans des langues génétiquement éloignées (comme, par exemple, l’anglais et le mwotlap), mais aussi au sein d’une seule langue sous forme de glissements de sens indépendants (voir les lexèmes du grec ancien αἴρω et ναιρέω, les verbes anglais to lift et to raise, les verbes italiens levare et togliere). L’existence de ces parallèles à deux niveaux, dans le vocabulaire d’une langue particulière aussi bien qu’à travers les vocabulaires de différentes langues, permet de constater une tendance forte de la conscience humaine de percevoir certains types de vécu, notamment la « disparition » au sens large, comme un déplacement vertical, et de les conceptualiser ainsi dans le langage naturel. Le vaste panorama des occurrences de ce glissement de sens complexe, qui peut sans doute être encore élargi, semble conforter l’importance cognitive de ce modèle de polysémie et confirmer le rôle crucial des catégories spatiales dans la perception humaine de la réalité.

Les données linguistiques analysées dans l’article sont récapitulées dans le tableau ci-dessous, afin de faciliter l’observation du panorama des acceptions des verbes étudiés :

Langue Lexème Acception (1) Acception (2) Acception (3) Acception (4а) Acception (4b)
grec αρω + + + + +
grec ναιρέω + + + + +
anglais to lift + + +
anglais to raise + +
allemand aufheben + +
néerlandais opheffen + +
norvégien oppheve +
norvégien heve + +
danois ophæve +
danois hæve + +
suédois upphäva +
suédois häva + +
français lever + + (+)27 +
français enlever + + + +
espagnol levantar + +
italien levare + + + +
italien togliere + + + +
latin levo + + +
russe снять + + +
russe убрать + +
gaélique tóg + +
turc kaldırmak + + +
turc çıkarmak + +

Tableau 1. La répartition des acceptions constituant la chaîne de glissements de sens ‘to take up’ → ‘to abolish’ dans les langues observées ci-dessus.

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Notes

1 L’étude a été soutenue par RSCF (Russian Science Foundation), projet № 22-18-00586 « L’élaboration d’une typologie de la polysémie au moyen d’un système partiellement automatisé de l’identification cross-linguistique de glissements sémantiques ». Retour au texte

2 Pour la définition exhaustive du mot au sens large, voir Zalizniak (2018, p. 772). Retour au texte

3 La base de données est accessible sur www.datsemshift.ru Retour au texte

4 Les sens observés dans l’article sont désignés par des labels sémantiques anglais conformément aux principes de la notation appliqués pour la description des glissements de sens dans DatSemShift. Les verbes à particule to take up, to take off et to take away ont été choisis comme labels sémantiques pour mieux illustrer les différences sémantiques entre les types de mouvement dits « up », « off » et « away », même si c’est en réalité le verbe to lift qui correspond usuellement au sens (1) en anglais. La numérotation sera utilisée tout au long de l’article pour référer à chacun des sens cités ci-dessus. Retour au texte

5 Tous les exemples anglais sont tirés de Summers (2003). Retour au texte

6 Tous les exemples allemands sont tirés de Drosdowski (1983). Retour au texte

7 Tous les exemples néerlandais sont tirés de Den Boon & Geeraerts (1961). Retour au texte

8 Tous les exemples norvégiens sont tirés de Bokmålsordboka (n. d.). Retour au texte

9 On entend sous ce terme les lexèmes ayant la même origine et le même sens dans deux ou plusieurs langues apparentées, voir la définition des true cognates dans Gallegos (1983, p. 22). Retour au texte

10 Tous les exemples danois sont tirés de Den Danske Ordbog (n. d.). Retour au texte

11 Tous les exemples suédois sont tirés de Svenska Akademiens Ordböcker (n. d.). Retour au texte

12 Au sujet de la dérivation morphologique par rapport aux autres types de glissement de sens, voir Zalizniak (2018, p. 778). Retour au texte

13 Tous les exemples français sont tirés du TLFi, http://atilf.atilf.fr/. Retour au texte

14 Dictionnaire de moyen français, https://www.cnrtl.fr/definition/dmf/. Retour au texte

15 Tous les exemples italiens sont tirés de Garzanti (1998, p. 1210). Retour au texte

16 Tous les exemples espagnols sont tirés de Pidal et al. (1987, p. 657). Retour au texte

17 Tous les exemples latins sont tirés de Lewis et Short (1956, p. 1055). Retour au texte

18 Il est à noter que ce sens est aussi propre au verbe italien moderne levare, voir levarsi la fame, la sete ‘rassasier la faim, étancher la soif’. Retour au texte

19 Ici l’acception de base veut dire l’acception à la fois la plus usuelle, la plus simple à définir et la plus concrète, apparaissant donc aux locuteurs comme « évidente » et non dérivée des autres ; on peut en trouver une justification non nécessaire mais pratique dans le fait que l’acception en question soit généralement citée en première dans les articles lexicographiques. Retour au texte

20 Voir, par exemple, les définitions de ‘to lift’ dans Summers (2003) et de ‘enlever’ dans le TLFi (s. d.). Retour au texte

21 Pour la notion de colexification, voir François (2008). Retour au texte

22 Les exemples sont tirés du corpus frTenTen (2017). Retour au texte

23 Les exemples russes sont tirés de Evgen’eva (1987, pp. 167-168). Retour au texte

24 L’exemple est tiré de Национальный ­корпус ­русского ­языка (n. d.). Retour au texte

25 Tous les exemples gaéliques sont tirés de Ó Dónaill (1992). Retour au texte

26 Les exemples de mwotlap sont tirés de François (2020, p. 343). Retour au texte

27 Attesté en moyen français. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Mariia Orlova, « De lever la main à lever l’interdit : Les verbes transitifs de déplacement vertical et leurs extensions sémantiques », Lexique [En ligne], 31 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 17 mai 2024. URL : http://www.peren-revues.fr/lexique/845

Auteur

Mariia Orlova

Institut de linguistique de l’Académie des sciences de Russie
mriaorlova@gmail.com

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